“Guimauve Sauvage”
Bye Bye Peanuts 
Exposition Gustative
du 12 avril au 25 mai 2024
> Les 30 ans de Tator >

[FR]
Faisant suite à l'expérience olfactive de Sinus, proposée par Boris Raux en ce début d'année 2024, la programmation plurisensorielle et participative des 30 ans de Tator se poursuit sous le prisme du goût, ou plus exactement de son évocation, au travers de l'exposition "Guimauve Sauvage" du duo Dijonnais Bye Bye Peanuts.

    Des œufs, de la gélatine et du sucre : voilà le remède miracle que le duo d’artistes dijonnais BYE BYE PEANUTS, soit Violaine Truchetet et Jean-Baptiste Bonhomme, nous adresse durant quelques semaines à la Galerie Tator.

L’œuvre présentée appelle un temps et en lieu où la forme appartenait à la vie sensationnelle, sans qu’elle fût camouflée ou mutilée par un plan exclusif de références. Nous tenant parmi les œuvres, nous intéressant à elles, nous retrouvons en effet un langage et l’expérience d’un paradis perdu que nous célébrons en rêvant éveillés, et ce rêve éveillé réchauffe un désir gelé qui nous projette alors dans une mémoire plus riche que le monde clos de notre présent – nulle confusion cependant : il ne s’agit pas d’un retour vers une enfance mythifiée où nous dansions, rions et jouions avec les couleurs des choses. Si le goût du jeu est passé, il nous reste toutefois l’ambition de faire le jeu du jeu, comme un pied de nez dérisoire – nous ne sommes pas dupes – à l’illusion d’une innocence primitive, en acceptant de poser un regard neuf sur qui nous sommes, à travers qui nous fûmes.

Les artistes montrent aux visiteurs les ruines conséquentes et fascinantes de leur gourmandise et pendant que nous contemplons ces objets cristallisés, BBP, en un sourire sucré, frappe notre désir, le pulvérise pour le réduire en signes atomisés et désagrégés. Le vestige de tous nos appétits nous est alors soustrait, volé, et nous nous retrouvons nus, lestés de cette charge que nous avons trop longtemps confondue avec un besoin.

Cette opération de pénitence et de réconciliation avec notre désir, qu’on nous propose et qu’on accepte, nous permet ainsi de nous interroger sur les présupposés que nous avons investis dans la construction de sa théorie, comme figure centrale d’une société où la vanité d’une consommation personnelle et rapide d’objets fragiles a gagné sur le lent et long travail de solidarité nécessaire à leur production : nous sommes ainsi invités à rendre deux comptes, le premier à nous-mêmes, le second à notre voisin : cette opération de contrition vise une concorde.

Mais ce que nous fait sentir BYE BYE PEANUTS est encore plus profond : l’appartenance au groupe du visiteur lui garantit l’accès à des ressources qu’il semble chasser ou cueillir, sans satisfaire complètement sa vorace convoitise, rendue ici en un divertissement, et les artistes ne nous offrent pas d’autre choix que de transformer notre trophée en raison. Tu vois, le visiteur ici a des droits sur l’œuvre, puisqu’elle est comme son ombre, ou le reflet d’un lieu caché et obscurci par la culture des ans.

Tu aimerais choyer la surface de cette forme qui te rappelle qui tu étais, avant les mots de la faim et de la soif, avant les stratégies d’appropriation, avant tout ça, tu aimerais incorporer l’œuvre pour sédimenter en toi des fragments, des reliquats, comme à ton habitude. 

Nous partageons des droits ambigus sur les œuvres présentées, l’aliénation et l’usage se confondent quand mon regard happe ton regard, quand je prends ce que tu as vu de l’œuvre, « bye bye, ta peanut ! », je rabote, je grève maintenant un peu de ton souvenir prochain.

Vis-à-vis de la tension des deux territoires ici offerts – les traces d’un souvenir encavé d’une part, et la représentation d’un monde disparu d’autre part, avec ses stalactites et stalagmites en guimauve marbrée – une responsabilité étrange nous saisit soudain devant l’exposition d’une mémoire archaïque, quelque chose en nous semble renoncer à son expression, une chose qui nous a infatué trop longtemps, et nous déposons cette pudeur suffisante en mettant décidément au goût du jour ce vieux désir jauni par la fatigue du temps qui passe. Nous l’avons négligé trop longtemps. BYE BYE PEANUTS le ranime en le renouvelant. Et nous pouvons aujourd’hui réaliser ce sentiment en poursuivant un nouvel horizon, qui nous fera nous retrouver avec nous-mêmes, et apprécier avec plus d’acuité nos contradictions.

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L’écriture de ce texte prend fin le 30 mars 2024, et aussitôt qu’un point aura été posé à cette dernière phrase, j’irai cuisiner un plat que je ne mangerai pas : ce soir, comme vous ici ce jour, je me rends visite.

Fabrice Magniez, mars 2024


[EN]
Following on from the olfactory experience of Sinus, proposed by Boris Raux at the start of 2024, the multi-sensory and participative programming of Tator's 30th anniversary continues under the prism of taste, or more precisely its evocation, through the exhibition "Guimauve Sauvage" by the Dijon duo Bye Bye Peanuts.

    Eggs, gelatine and sugar: that's the miracle cure that the Dijon artist duo BYE BYE PEANUTS, Violaine Truchetet and Jean-Baptiste Bonhomme, are offering us for a few weeks at the Galerie Tator.

The work presented calls to mind a time and place when form belonged to sensational life, without being camouflaged or mutilated by an exclusive plan of references. Standing among the works, interested in them, we rediscover a language and the experience of a lost paradise that we celebrate by daydreaming, and this daydream warms up a frozen desire that projects us into a memory richer than the closed world of our present - no confusion though: this is not a return to a mythified childhood where we danced, laughed and played with the colours of things. Although the taste for play has passed, we still have the ambition to play the game of the game, as a derisory thumbing of the nose - we are no fools.
- to the illusion of primitive innocence, by agreeing to take a fresh look at who we are, through who we were.

The artists show visitors the consequent and fascinating ruins of their gluttony, and while we contemplate these crystallised objects, BBP, with a sweet smile, strikes at our desire, pulverising it to reduce it to atomised and disintegrated signs. The vestige of all our appetites is then taken from us, stolen, and we find ourselves naked, weighed down by this burden that we have for too long mistaken for a need.

This operation of penitence and reconciliation with our desire, which we are offered and accept, allows us to question the presuppositions we have invested in the construction of his theory, as the central figure of a society in which the vanity of personal and rapid consumption of fragile objects has won out over the slow and long work of solidarity necessary for their production: we are thus invited to render two accounts, the first to ourselves, the second to our neighbour: this operation of contrition aims at concord.

But what BYE BYE PEANUTS makes us feel is even more profound: the visitor's membership of the group guarantees him access to resources that he seems to hunt or gather, without completely satisfying his voracious lust, rendered here as entertainment, and the artists offer us no choice but to transform our trophy into reason. You see, the visitor here has rights over the work, since it is like his shadow, or the reflection of a place hidden and obscured by the culture of the years.

You'd like to pamper the surface of this form that reminds you of who you were, before the words of hunger and thirst, before the strategies of appropriation, before all that, you'd like to incorporate the work to sediment fragments, remnants, in you, as usual.

We share ambiguous rights over the works on display, alienation and use merge when my gaze catches your gaze, when I take what you've seen of the work, "bye bye, ta peanut!", I plane, I now strike at a bit of your upcoming memory.

Faced with the tension between the two territories offered here - the traces of an encased memory on the one hand, and the representation of a vanished world on the other, with its marbled marshmallow stalactites and stalagmites - a strange responsibility suddenly seizes us before the exhibition of an archaic memory, Something in us seems to give up its expression, something that has infatuated us for too long, and we put down this smug modesty by resolutely bringing up to date this old desire yellowed by the fatigue of passing time. We have neglected it for too long. BYE BYE PEANUTS revives it by renewing it. And today we can realise this feeling by pursuing a new horizon, one that will enable us to rediscover ourselves and appreciate our contradictions more acutely.

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The writing of this text will end on 30 March 2024, and as soon as a full stop has been placed on this last sentence, I'll go and cook a dish that I won't eat: tonight, like you here today, I'm visiting myself.


Fabrice Magniez, March 2024



Photos © Frédéric Houvert