“Serpentine”
Mathias Tujague
Exposition du 9 juin au 25 juillet 2014


Aujourd’hui, le mercredi 4 juin 2014, hier, le 3 juin, à la galerie, les réalisations en cours, discutant avec Marie Bassano, elle souligne : c’est la première fois qu’elle, la galerie, devient atelier - en effet : tables ici, plâtres (en poudre dans un sachet comme déjà moulé : en drapé, en galettes empilées, en coulée sur la rembarde, des reliquats d’essais) et là des pigments (bleu, orange, rouge, vert, etc.), etc. ; hier soir discutant avec Mathias Tujague, il dit la fragilité des pièces, il dit la difficulté du transport sans casser, il dit ces nécessités-là - amènent ici à faire in-situ ; il dit : dispositif immersif ; il dit : la couleur et l’odeur, peut-être l’odeur des deux cires sur le plâtre, la couleur de la lumière, la lumière rose, un mètre de diamètre, une projection, sur ce mur, qui baignera ; je suis amenée à projeter ; faire des allers-retours entre ce qui l’a été et ce qui l’est et ce que cela sera : qu’est-ce que Serpentine sera ? La voyant, vous, aujourd’hui, vous savez comment s’est figée la forme ophidienne de racines croissant sans cesse et continuant à se mouvoir : je crois que la plaque de bitume sera là, posée contre le mur, le mur du fond, contre la couleur, la couleur est-elle encore là ? la couleur violette et jaune poncée, polie, couverte, recouverte, de loin je n’ai pas encore obtenu ce que je souhaite, regardant de très près, j’ai vu la chimie de la photograhie, une pellicule brûlée (celle des danses serpentines ?), un bain de révélateur : là, à quel état d’instantanéité picturale, photographique, est-elle ? Mathias Tujague dit : que le geste devienne matière.

Aujourd’hui, le jeudi 5 juin 2014 , la lumière rose - celle d’une aurore d’un presqu’été ensoleillé -- pouvant baigner --- ici se réfléchir, à la surface de l’eau, du fleuve, du Rhône, je pense à la mer, à surfer ---- à surfacer ----- je pense aux vidéos d’Ange Leccia ----- là la lumière pouvant baigner : je me demande quelle couleur, quel aspect prendra la surface des plâtres, la surface lisse des trois plaques de plâtre formant ( (plus ou moins) palissade), la (plus ou moins) palissade, je me demande comment cette, ces surface(s)  va,vont réagir, comment la lumière y sera prise, y jouera, comment les ombres, ------ je pense à Sarkis, je pense aux Sons et Lumières déployés au Centre Pompidou, il y a 10 ans.

La (plus ou moins) palissade se vêt de (quelques ?) galette(s) moulée(s) à même ses tasseaux; il y a un pan de tissu, en plâtre (le tissu dès l’amorçe présent par : le plissé du macadam, par l’origine de la projection lumineuse (Loïe Füller, les plis de sa robe, dont la recolorisation des frères Lumière fut un temps imaginée être transposée, transférée, aposée sur la surface, imprégnant les fibres, venant au coeur de la soie d’un ruban de gymnastique rythmique (analogie formelle, ce stick repris dans le carrotage fabriqué de strates de plâtre)), par tout ce que convoque de plissé le marbre dans le Baroque) qui sur l’angle supérieur (gauche quand on entre, quand de dos est la palissade ; droit, quand, passé devant, donc derrière, l’on fait face au verso de la palissade-page-apalimpseste) s’accroche rugueux contre la surface lisse - et cette surface lisse du plâtre est toujours étonnante, dans le désir qu’elle provoque d’être touchée, pour en évaluer sa fraîcheur, sa douceur, son grain (son absence de grain -- la perfection de cette absence --- la perfection de l’absence du geste nécessaire pour atteindre la perfection de ce lissé, geste disparu dans la perfection alors doublement atteinte, soit) : du faire, ne pas laisser la trace apparente.

La couleur, la lumière rose, les danses serpentines.

Que la (plus ou moins) palissade sera là - palissade dé/repalissadée : montage cinématographique ? De l’objet avec lui-même. Des trois pans initiaux, un seul demeure, les trois pans initiaux retrouvés dans les trois plaques de plâtre, leur verticalité renversée, déviée vers : horizontalité : de portrait à paysage, trois paysages identiques pour faire un, un pan de (plus ou moins) palissade comme un petit pan de mur.

Son marbling, toutes les étapes de son marbling, se transpose ailleurs (à son envers par les traces serpentant qu’a laissées, cette surprise saisie, à la surface (la surface !), la grille sur laquelle ces plaques de plâtres paysages ont été formées ; dans le cairn mou ; sur le mur lui faisant face ; et moulé en creux par stratification plâtrière, occlusion inversée, le carrotage d’une roche non pour étude de la roche, mais pour y inserer x bâtons de dynamite, explosion de fragilité pensée verticale, pensée Cadere : c’est inévitable que les gens y fassent référence, mais ce n’est pas cela qui m’intéresse et je ne sais pas si ça va marcher, il faut encore que je démoule, ça peut casser, ça a cassé).

Ne pas laisser la trace apparente.

Comme si le geste aurait pu être effectué par une machine, comme si la main n’intervenait pas, plus, (plus ou moins) la main intervenant toujours car toutes machines, hors peut-être les machines étant capable d’apprendre, restent programmées par la main, la main et la pensée humaine. Que disparaisse la trace du geste ne fait pas disparaître que le geste devienne matière - désir programmatif incluant l’erreur/l’hésitation, les impossibles comme de nouvelles sources-miroirs.

Un empilement de galettes de plâtre dans lesquelles ont été ajoutés des pigments : chacune unique, chacune identique, un peu comme les cailloux, observer ce qui en est visible, les uns et les autres provenant d’une succession de procédés métamorphiques, avec dans ce cairn l’idée des plis synclinaux, un caillou rendu mou par la force involontaire qui s’y applique, durcissant ensuite : de la lave à la roche, de la poudre à la mollesse figée : repère à la fabrication peut-être ? Bien que : de la fabrication Mathias Tujague ne veut pas laisser la trace apparente.

Que le cairn sera là - venu des tests et tentatives de faire ce marbling - d’abord comprendre la technique, l’apprivoiser, comme un artisan, ou avec ceux et celles qui le sont (je pense à ce que le geste devienne matière et je pense aux récits, très actifs dans le processus, de la rencontre, de la possibilité d’une rencontre avec une technicique et s,a,on technicie,n,ne : ainsi pour l’adobe et les I-glaises disparus de l’exposition, ainsi pour la plaque de bitume pour laquelle sont venus six personnes, qu’elle soit coulée sous l’escalier de la galerie, dans l’angle, six personnes et le camion à bitume, sur papier kraft et sur moulage d’une racine en argile, encore l’argile, et la brûlure que le macadam a laissé, ainsi pour le motif du marbre passant par la possibilité de travailler avec les étudiants décorateurs, de l’École Nationale Supérieure des Arts et Techniques du Théâtres, la peut-être future rencontre avec le maître italien du faux-marbre (où j’apprends qu’il est devenu plus cher que le vrai) puis s’en défaire, comme : d’abord avoir un motif, ici serpentine, puis s’en défaire : s’en défaire comme le laissant affleurer ci et là, ses réminiscences, motif comme moteur, une écriture sculpturale à contraintes, ces contraintes qui, une fois posées, sont dépassées, cette liberté, difficile, de ne pas se satisfaire de l’idée, sa réalisation, mais de la confronter à l’expérimentation.

Je projette que la pré-réalisation, sous forme d’une maquette ou d’une modélisation 3D (que modifieront toutes les étapes de l’expérimentation) revient à ce qui, déjà, a été repéré dans le désir de dispositifs immersifs : qu’un espace scénique onirique (d’où cette nécessité ces é-preuves du principe de réalité ?) prenne corps, satisfaisant aux propriétés du rêve : qu’en existent enfin les a/syn/diachronies spatio-temporelles aux multiples focales (matière du film et cinéma), qu’il soit possible pour Mathias Tujague de satisfaire à son propre désir d’y (re ?, enfin?) vivre lui-même ce qui a déjà eu lieu, comme la (plus ou moins) palissade se sous-vêt (et nous souvient) d’un sur-angle intérieur, d’abord triangle de moulage, réalisé en tasseaux même matérialité que celle de la structure qu’il vient épouser, pour qu’y soit coulé du plâtre, un plâtre pigmenté, légèrement rouge-orangé et comme passé, et c’est derrière qu’il faut passer, puis passer encore pour voir l’autre face, verte, de ce vert serpentinant, ce vert tant fantasmé, autour duquel tout a tourné, cette surface tournée vers le mur blanc de la galerie : là, dans cet espace d’une vingtaine de centimètres (à la date du 3 juin): l’espace d’un dialogue ? Comme entre la surface de la palissade et le mur peint (soutenant la plaque-surface noire de macadam) ?

Quelles seront les formes qui résisteront à l’évidemen(t)ce ?

Aujourd’hui, le mercredi 4 juin 2014, flotte à la surface un motif ophidien, celui que tracent des racines dans l’asphalte, soulevant le sol, cette surface noire, observée dure et horizontale, ici extraite et reproduite, verticale et molle. [Extrait 1 newsletter Tator:] Flotte conscient ce motif et vient, associations d’idées et de lieux, d’un trottoir macadamisé à une chapelle turinoise, le marbre. En flotte son marbre, la matérialité d’un marbre vert-de-mer et, seule plongée, seul passage de la surface à la profondeur : ça passe au cœur : au cœur de sa substance se trouve la serpentine, il se trouve que la serpentine tue, tue le végétal, le vert, le vivant quand le marbre, par ses motifs, se lit agrégat encore vivant d’un vivant passé. [Extrait 2 : newsletter Tator] Vit et tue ; flotte à la surface ; sa surface polie réfléchit ; une réflexion est un écho ; résonnent et se reflètent le serpentine des Danses serpentines de Loïe Fuller. Du minéramatériel, du vert, complémentaire donc s’opposant, au rose, à un évanescéclairage, il y a, du film de ces danses, la colorisation des frères Lumière. Extraction encore : tous leurs roses : leurs dégradés baignent les autres concrétions qu’a provoquées serpentine - origine (seule isolée) : la dégradation de l’asphalte (éclairé crûment, de la pseudo-neutralité qu’un white-cube convoque), en est point d’orgue, minéral, dont l’immobilité, ainsi celles des roches, n’est qu’apparente, son érosion, son affaissement toujours en cours. D’une dégradation par associations, par expérimentations de leurs confrontations, les rendant unitaires, solitaires, pas de passage d’une surface à l’autre si est inconnu le motif qui les déclinent, ce serpentine, ils flottent seuls et ensemble quand le rose-Füller, le rose-Lumière, pièce scénique, réunit, dansant, (l’interprétation d’un wind-spiner contre-plaqué, plis synclinaux de la roche au bois, vivant et mort), à une palissade un écran, l’envers d’un décor, un quatrième mur, une projection d’une narration théâtrale qui n’existe pas, ou alors dans celui dit de l’absurde, cet écho persiste qui permet, en même temps que de trancher l’espace surface coupante, à passer, dépasser, (pour découvrir ce qui flotte à sa surface, abrasés, encore une dégradation, et encore la couleur, celles des pigments, le rejeu d’un marbre fantasmé, sa composition : de tracer une diagonale, une ligne dite de force, comme le sont les rapports formels engagés) dans ce dispositif immersif, écho d’un rêve réfléchi, réalités frottant, celui d’une occlusion minérale dans les pierres du bâtiment.

Aujourd’hui, le vendredi 6 juin 2014, la plaque de bitume vient contre le mur de l’escalier, le mur peint est laissé seul et éclairé au néon, le stick cassé, fragmenté au sol le long du mur de droite (en entrant) à 20 cm de la plinthe comblant ainsi toute la longueur du mur jusqu’à la première marche. La partie la plus longue sera peut être érigée dans le coin vers le haut.

Le bitume noir ? Le marbre vert ? Le plâtre blanc ? La surface ? 
La sédimentation ? La stratification ? L’érosion ? La surface ?
Le plâtre coloré ? Le tissu ?
La polysémie ? La pellicule?

Aussi de s’y voir lui-même spectateur, cela permis par la présence de vrais spectateurs devenus à leur insu acteurs du dispositif : leur rôle est celui l’artiste rêvant ; ces spectateurs-acteurs de son propre spectacle intérieur lui permetteraient d’acquérir un point de vue omniscient et extérieur - ultime test de l’efficience de la réalisation réelle réellement réalisée ? Qu’elle soit bien le reflet du mirage qu’il a rencontré, modelé, durant les déambulations de ses dédales mentaux ?  Ainsi à partir d’objets repérés, de leurs formes repérées comme usinées (et, là, l’usinage (dans un rapport au motif, au formel) est à rapprocher de cette classification typologique que l’oeil/l’esprit réalisent, opérant par simplification (pour maîtriser ce qu’il ne l’est pas ?) des contours et contenus des objets naturels) ou naturelles, il peut y avoir déclinaisons, variations, accroissements, réductions, démultiplications, autant de gestes à rapprocher de ceux du théâtre , du travail de scénographe.

Anne Kawala, juin 2014. 


Feuille de salle (version originale rédigée et mise en page par Anne Kawala)



Photos © David Desaleux