“Quelque chose de Phénix”
Œuvres de Félix Lachaize
Exposition du 10 fév. au 28 mars 2025

Commissaires invitées : Françoise Lonardoni,
Marie-Laure Paire 


[FR]
Propos des commissaires
Nos trois regards se sont posés sur le travail de Félix Lachaize pour en restituer les axes forts et le projeter au-delà de l’image d’artiste- accumulateur qui apparaît de prime abord. Les pistes retenues pour l’exposition sont enrichies des relations singulières que chacune a entretenues avec l’artiste : tout d’abord, son goût pour les expériences impraticables, étayé par sa pratique de la danse et des sports de glisse, qu’il a investi dans ses œuvres comme dans ses projets pédagogiques ; ensuite, son énergie de transformation, qui métamorphosa, déstructura, assembla des objets inconciliables ou qui insuffla la vie à des formes inanimées ; son attirance pour le jeu, enfin, qui s’exprima par le jeu de mots, l’écriture faussement ingénue, des méthodes de classement inaccoutumées ou des performances tirant vers le burlesque. Le principe qu’aucune voix ne soit prépondérante a été adopté et suivi pour le plus grand bien de ce projet chargé d’émotion.

Marie-Laure Paire a été la compagne de Félix. Marie Bassano, sa collègue pendant huit années, comme directrice de la galerie Tator et de la Factatory. Françoise Lonardoni a rencontré son travail en 2013 et a invité Félix dans des projets de recherche-création avant d’écrire sur son travail. Une quatrième personne a intégré nos débats avec des propositions judicieuses : Cécile Lachaize, mère de Félix. Elle suggéra des qualificatifs inspirants pour désigner à la fois ses œuvres et son processus de création : encollecté, enlâché, collectanimé.


Quelque chose de Phénix
Françoise Lonardoni

Si son travail dépasse largement la pratique de l’assemblage, il est vrai que c’est avec les objets que Félix a toujours commercé, pratiquant la récupération à tout endroit et à tout moment. Viscéralement attiré par les bennes de recyclage, il a fait de ses séances de récupération le fondement de son processus créatif. Dans ces espaces suspendus, isolés, reconnaître de loin un bout de formica ou un pied de baignoire en fonte, les manipuler, les projeter dans diverses séquences imaginaires représentait un sommet de jubilation. Les objets étaient ensuite démontés et classés en mode fantasque dans un véritable magasin de pièces détachées.

Protocoles et performances. 
La réalité s’accommodant mal de la poésie, il fallut parfois limiter l’encombrement. Son nouveau protocole de récupération consista un temps à photographier ou filmer les objets dans la benne, ce qui produisit des vues vertigineuses : l’intérieur du container, et la manipulation d’objets par l’artiste donnent des images étranges et rarement vues.
De là, transparaît aussi la dimension performative de ces séances, les confirmant comme des moments- clé du travail.
Cette collecte numérique sera employée à diverses fonctions. Dans la performance Perf pad danse 1 , le film d’une session de récupération se trouve au cœur du dispositif ; entouré de simulacres de branchements techniques, Félix danse des claquettes devant le film, en alternance avec un incroyable road movie pour scie à chantourner.
Une même atmosphère de simulacre et de jeu performatif anime le film « n 38 » qui commence par la lecture pompeuse d’un texte sur l’Isère et le surf, avant de le voir surfer réellement une vague de l’Isère puis sur une table de l’école des beaux arts.

Objets partenaires.
C’est l’un des caractères forts de ce travail que de transmettre aux choses une énergie de vie : les performances, les sculptures, les stop-motions imposent l’idée que l’essence de l’objet n’est ni finie ni univoque. L’«objet partenaire » de Félix Lachaize montre sa nature transitoire.
Dans la performance Sculpture mi-molle (2020), l’artiste se tient au centre d’un lit à rouleaux Louis-Philippe, qu’il a préalablement scié en lamelles, puis ré-assemblé avec du câble et des ressorts. Le jeu consiste à remettre debout ce cadre de lit qui lui échappe, se déforme et s’affale. Les formes souples prises par le lit sont autant d’états successifs de l’objet et il est pratiquement impossible de déterminer qui, de l’artiste ou de l’objet, commande cette dialectique effrénée. Comme dans les tasks performances des années 1960, le matériau est un prétexte pour créer un geste. Nous comprenons que nous ne regardons pas exactement un montage de lit, mais la connivence d’un corps avec un objet, une force de vie se transmettant d’un corps à un autre.

Les « objets inanimés » se sont trouvés dotés non d’une âme, mais d’une activité dans les stop- motions réalisés avec le personnel du Foyer Notre Dame des Sans Abris : les folles équipées de glacières, de cocottes-minute, le défilé de bureaux froissés comme des boules de papier nous entraînent dans un espace mental aux confins de la magie et de la réalité prosaïque. La technique archaïque du stop motion se prêta avec justesse à ces séquences dignes de Méliès, montrant au passage combien les objets au rebut envahissent les entrepôts des associations caritatives, signe de notre surabondance non maîtrisée.

Présenter, représenter.
Les photos d’objets seront aussi intégrées à des sculptures, dans les « objets aplatis », adoptant un design paradoxal qui présente l’objet dans ses propres matériaux et en même temps le représente avec les codes de la perspective : c’est la série des tiroirs et boîtes accrochés au mur, contenant une photo d’objet encadrée. Les petites bennes d’acier montées sur des pieds de meubles, ses « déchètes sur pattes » contiennent aussi des images imprimées qui semblent jetées là - c’est justement l’utilité d’une benne. Installées dans la prairie devant sa maison, elles deviennent un troupeau comique qui prend la tangente.
La découverte des cartes-meubles (série démarrée en 2010) a révélé une voie narrative, dans laquelle Félix s’attache à décrire l’histoire qu’il a entretenue avec certains meubles. Le dessin au recto et le texte tapé à la machine, maladroitement, au verso, manifestent un lien texte-image fondamental chez l’artiste. Ils précisent l’idée d’une valeur affective pour Félix, à l’arrière-plan de ses transformations et démontages. La part de mémoire collective qui se tient dans l’histoire des styles puis dans celle du design n’occulte pas une part de chronique individuelle.

Autoportrait avec atouts.
Le fameux autoportrait de l’artiste, tout en formica, marquait-il une nouvelle veine ? Il se rapproche avec humour d’un certain réalisme. Dans un style géométrique, Félix fignola d’élégants détails couture à ce mannequin d’environ 1,20m. Le visage en facettes de placards au motif textile est surmonté d’une chevelure acajou, avec des yeux bleus perçant sous des sourcils faux bois.
Cette pièce soulignait l’habileté technique de l’artiste mais aussi et surtout son aptitude à engager le matériau à contre-emploi pour aboutir à son changement de statut. Démiurge en son entrepôt, l’artiste musarde ici entre tradition des beaux arts et facétie.
Marie Bassano écrivit juste après son décès : « Que cela soit dans la réalité ou dans la fiction, Félix, Boris Raux (artiste exposé à la galerie Tator en février/ mars 2024), Tormod (personnage principal du roman « Nous sommes 5 » de Matias Faldbakken) tout comme Gepetto, sont des bricoleurs inventifs et obstinés. Tous usent de leurs compétences manuelles, artistiques ou scientifiques pour donner vie à des objets du quotidien, à du bois ou à de l’argile (...). Félix, comme par magie, parvenait à leur transmettre les meilleurs atouts de sa personnalité : bonhomie, facétie et malice ».


1 Centre d’art de Vénissieux. Performance avec Mathilde Penet, 2012



[EN]
Curatorial comments
Our three approaches to Félix Lachaize's work are designed to highlight its main themes and project it beyond the image of an accumulator-artist that appears at first glance. The paths chosen for the exhibition are enriched by the singular relationships that each has had with the artist: firstly, his taste for impractical experiments, underpinned by his practice of dance and sliding sports, which he has invested in his works as well as in his educational projects; secondly, his energy for transformation, which metamorphosed, destructured and assembled irreconcilable objects, or breathed life into inanimate forms; and finally, his attraction to playfulness, expressed in wordplay, falsely ingenuous writing, unusual filing methods or performances tending towards the burlesque. The principle that no vote should be casting was adopted and followed, to the great benefit of this emotionally-charged project.

Marie-Laure Paire was Félix's companion. Marie Bassano, his colleague for eight years, as director of the Tator gallery and Factatory. Françoise Lonardoni encountered his work in 2013 and invited Félix to take part in research-creation projects before writing about his work. 
A fourth person joined our discussions with judicious suggestions: Cécile Lachaize, Félix's mother. She suggested inspiring adjectives to describe both his work and his creative process: encollecté, enlâché, collectanimé.


Something from Phoenix
Françoise Lonardoni

While his work goes far beyond the practice of assemblage, it's true that it's with objects that Félix has always traded, recycling wherever and whenever he can. Viscerally drawn to recycling bins, he has made his salvaging sessions the foundation of his creative process. In these suspended, isolated spaces, recognizing from afar a piece of Formica or a cast-iron bathtub base, manipulating them and projecting them into various imaginary sequences represented a pinnacle of jubilation. The objects were then dismantled and arranged in whimsical fashion in a veritable spare parts store.

Protocols and performances.
Reality doesn't sit well with poetry, and sometimes it's necessary to limit the amount of clutter. For a time, his new recovery protocol consisted of photographing or filming objects in the dumpster, producing vertiginous views: the interior of the container, and the artist's manipulation of objects, produce strange and rarely-seen images. This also reveals the performative dimension of these sessions, confirming them as key moments in the work.
This digital collection will be used for a variety of purposes. In the performance Perf pad danse1 , the film of a recovery session is at the heart of the device; surrounded by simulacra of technical connections, Félix tap dances in front of the film, alternating with an incredible road movie for scroll saw.A similar atmosphere of simulacra and performative play animates the film “n 38”, which begins with the pompous reading of a text about Isère and surfing, before seeing him actually surfing a wave on Isère and then on a table at the Ecole des Beaux Arts.

Objets partenaires (Partner objects)
One of the strong points of this work is that it transmits a life-giving energy to things: the performances, sculptures and stop-motions impose the idea that the essence of the object is neither finite nor univocal. Félix Lachaize's “partner object” demonstrates its transitory nature.

In the performance Sculpture mi-molle (2020), the artist stands at the center of a Louis-Philippe roller bed, which he has first sawed into strips, then reassembled with cable and springs. The game consists in putting the bed frame back on its feet, as it slips out of shape and collapses. The flexible forms taken by the bed are successive states of the object, and it's virtually impossible to determine whether the artist or the object is in control of this frantic dialectic. As in the performance tasks of the 1960s, the material is a pretext for creating a gesture. We understand that we're not exactly watching a bed montage, but the complicity of a body with an object, a life force being transmitted from one body to another.

The “inanimate objects” found themselves endowed not with a soul, but with an activity in the stop-motions produced with the staff of the Foyer Notre Dame des Sans Abri: the crazy outfitting of coolers and pressure cookers, the parade of desks crumpled like balls of paper take us into a mental space on the borders of magic and prosaic reality. The archaic stop-motion technique lends itself perfectly to these sequences worthy of Méliès, showing just how many discarded objects are invading the warehouses of charities, a sign of our uncontrolled overabundance.

Present, represent. 
Photos of objects will also be incorporated into sculptures, in “flattened objects”, adopting a paradoxical design that presents the object in its own materials and at the same time represents it with the codes of perspective: this is the series of drawers and boxes hung on the wall, containing a framed photo of an object. The small steel skips mounted on furniture legs, his “legged dumps”, also contain printed images that seem to be thrown in there - which is precisely the purpose of a skip. Installed in the meadow in front of his house, they become a comic herd that goes off on a tangent.
The discovery of the cartes-meubles (furniture cards, a series started in 2010) revealed a narrative path, in which Félix sets out to describe the history he has maintained with certain pieces of furniture. The drawing on the front and the clumsily typed text on the back reveal a fundamental text-image link for the artist. They clarify the idea of an affective value for Felix, in the background of his transformations and dismantlings. The part played by collective memory in the history of styles, and then in that of design, does not obscure a part of individual chronicle.

Self-portrait with assets.
Did the artist's famous Formica self-portrait mark a new vein? It comes humorously close to a certain realism. In a geometric style, Félix added elegant couture details to this 1.20 m mannequin. The textile-patterned, closet-faceted face is topped by mahogany hair, with blue eyes piercing beneath faux-wood eyebrows.This piece underscored the artist's technical skill, but also and above all his ability to engage the material against the grain, resulting in a change of status. A demiurge in his warehouse, the artist wanders here between fine art tradition and facetiousness.
Marie Bassano wrote just after his death: “Whether in reality or fiction, Félix, Boris Raux (artist exhibited at Galerie Tator in February/March 2024), Tormod (main character in the novel ‘We are 5’ by Matias Faldbakken) and Gepetto are all inventive, obstinate tinkerers. They use their manual, artistic and scientific skills to bring everyday objects, wood and clay to life (...). Félix, as if by magic, managed to pass on to them the best assets of his personality: bonhomie, facetiousness and mischief”.


1 Centre d'art de Vénissieux. Performance with Mathilde Penet, 2012



Photos © Frédéric Houvert et Chloé Pupier