“Quand je sais pas quoi faire, je vais sous un feutre”
Théophile Peris
Théophile Peris
Exposition tactile
> Les 30 ans de Tator >
du 15 nov. 2024 au 17 janv. 2025
Suite à une courte résidence à la Factatory
En collaboration avec le CAP Saint-Fons
En Résonance avec la 17ème Biennale de Lyon
> Les 30 ans de Tator >
du 15 nov. 2024 au 17 janv. 2025
Suite à une courte résidence à la Factatory
En collaboration avec le CAP Saint-Fons
En Résonance avec la 17ème Biennale de Lyon
[FR]
À l’occasion de sa 30ème année, la Galerie Tator poursuit ses explorations polysensorielles. Suite à l’odorat, au goût, à l’ouïe et à la vue, ce dernier chapitre vient clore le cycle avec le sens du toucher, au travers de l’exposition «Quand je sais pas quoi faire, je vais sous un feutre» de Théophile Peris, où les visiteurices sont invité.es à s’immerger au sein d’antres ou de terriers, dont les parois sont constituées de feutres ou de laine de brebis brute.
Remerciements chaleureux à Juliette Bertrand, Simon Feydieu, Louis Lefèvre, Zélia Moussy, Chloé Pupier, Alessandra Prandin, Virginie Yassef et au Cyclop.
Vous arrivez à temps. Refermons la porte avant que le vent ne s’invite. Ici, le froid reste dehors. Si le corps trouve refuge, il est probable que les pensées s’égarent. Installez-vous; voici l’histoire :
Comme chaque année, la burle* se lève. Elle s’engouffre entre les massifs centraux pour annoncer l’hiver prêt à rouiller les graisses. Dans le bois gris, sur le sentier brun, quatre ombres se suivent comme loups en cavale : Milune la mule, Théofil l’humain, Oelha la brebis et Minthe la merle. Les chardons scratchés aux oreilles ornent leur tête encore ivre de l’été. Leurs dos chargés de laine sont en marche depuis quatre jours.
Une fois en vallée et riches des glanures copieuses, iels déchantent de n’avoir vu passer ni septembre ni octobre ni novembre. Dans la forêt vide, seul un carré orange : la fenêtre de Rouillo l’écureuil et Siston le triton, qui ont achevé leur hivernacle*, déroulé le tapis et allumé le feu. À la vue du groupe démuni, les deux prévoyants ouvrent un volet :
« Partez à l’est, vous trouverez un bout de terre avant que la bourrasque ne vous prenne ».
Un coup de nerf saisit les compères qui prennent le sentier jusqu’au creux d’un rocher où vent ne roule. Iels se délestent enfin et s’affairent à la construction. L’hivernacle sera fait de lourds feutres où abriter le lit mollet. Oelha commence à carder la toison, retirer les vieux bourgeons, Milune bat les feutres pour les dépoussiérer avant suspension. Théofil s’efforce de coudre, maladroit comme un humain ne sachant faire. Minthe lui réapprend, avant de becqueter la laine pour renflouer chaque trou : « Calfeutrons les recoins, avant que la burle ne s’y glisse comme une couleuvre non conviée ».
Après avoir œuvré jusqu’à n’entendre que leurs propres cœurs déglutir, iels se logent enfin sous l’épais refuge. La buée des museaux essoufflés s’enroule à la laine. La matière diffuse une chaleur solaire qui répare les crevasses et adoucit les os. Milune rompt le silence de la scène :
« L’hiver sera long. Laissons les tentures ocres réchauffer nos pieds et bercer nos souvenirs passés. » Têtes-bêches rivées aux murs, leurs yeux glissent en arrière et la fatigue les emporte vers des visions floues.
Les songes divaguent - tapent contre des mottes de vent. Les respirations font vibrer un étrange violoncelle courbé comme un coccyx. L’objet gît sur fond de braise - la cheminée peut-être ? Où l’écureuil égraine les épis et marine les feuilles de maïs pour faire le gâteau moelleux. Une fumée quitte la pièce et s’entortille entre les chênes dehors. Déboule l’insomniaque triton fimbrié* qui dérobe une part et file sous bois. Répandues en chemin comme une trainée d’étoiles, les miettes jaunes se confondent aux écailles de son dos. La chouette qui voit la scène hulule à délaver un ciel et fait couler la lune fraîche dans le gosier assoiffé du lièvre en cavale.
Les derniers spasmes agitent les corps avant qu’iels ne s’endorment. Milune, Théofil, Oelha et Minthe resteront sous les feutres tièdes jusqu’au printemps suivant.
*La burle est un vent qui souffle l’hiver dans le centre-sud de la France à l’est du Massif central sur les plateaux du Velay, d’Ardèche ou des monts du Forez.
*L’hivernacle est un abri destiné à l’hibernation. Au sens large, il désigne un élément d’organisme animal ou végétal permettant de survivre aux conditions difficiles (froid, gel, moindre luminosité, manque de nourriture) de l’hiver. Il peut désigner la serre agricole.
*En botanique, un organe fimbrié est finement et irrégulièrement découpé, comme s’il était frangé. Le terme désigne aussi la marge du chapeau des champignons ou l’arrête de leurs lames.
[EN]
To mark its 30th anniversary, the Galerie Tator is continuing its multi-sensory explorations. Following on from smell, taste, hearing and sight, this latest chapter brings the cycle to a close with the sense of touch, through the exhibition ‘Quand je sais pas quoi faire, je vais sous un feutre’ (‘When I don't know what to do, I go under a felt’) by Théophile Peris, where visitors are invited to immerse themselves in dens or burrows, the walls of which are made of felt or raw sheep's wool.
Warm thanks to Juliette Bertrand, Simon Feydieu, Louis Lefèvre, Zélia Moussy, Chloé Pupier, Alessandra Prandin, Virginie Yassef and Cyclop.
You're just in time. Let's close the door before the wind kicks in. Here, the cold stays outside. If the body finds shelter, thoughts are likely to wander. Here's the story:
Like every year, the burle* rises. It rushes between the central massifs to herald winter, ready to rust the fat. In the grey woods, on the brown path, four shadows follow each other like wolves on the run: Milune the mule, Théofil the human, Oelha the sheep and Minthe the blackbird. Thistles stuck to their ears adorn their heads, still drunk from summer. Their wool-laden backs have been on the move for four days.
Once they were in the valley and had gleaned so much, they were disappointed not to have seen September, October or November go by. In the empty forest, the only orange square is the window of Rouillo the squirrel and Siston the newt, who have completed their wintering*, rolled out the carpet and lit the fire. At the sight of the destitute group, the two farsighted men open a shutter: ‘Head east, you'll find a piece of land before the gale catches you’.
A sudden surge of nerves gripped the companions, who took the path to the hollow of a rock where there was no wind. They finally unburdened themselves and set to work on the construction. The winterhouse will be made of heavy felt to house the soft bed. Oelha starts carding the fleece and removing the old buds, while Milune beats the felts to remove the dust before hanging them up. Théofil tries his hand at sewing, as clumsy as a human who doesn't know how. Minthe taught him, before pecking at the wool to fill in each hole: ‘Let's caulk the nooks and crannies, before the burle slithers in like an uninvited snake’.
After working until all they could hear was their own hearts swallowing, they finally made their way under the thick shelter. The mist from their out-of-breath muzzles curls around the wool. The material radiates a solar heat that heals cracks and softens bones. Milune breaks the silence of the scene: ‘It's going to be a long winter. Let the ochre drapes warm our feet and cradle our past memories. Heads riveted to the walls, their eyes slide back and tiredness takes them into blurred visions.
Dreams wander - tapping against clods of wind. Breaths make a strange cello vibrate, curved like a coccyx. The object lies against a background of embers - the fireplace perhaps? Where the squirrel is shelling the cobs and marinating the corn leaves to make the fluffy cake. Smoke leaves the room and twists between the oak trees outside. The insomniac fimbriated newt* swoops in, steals a slice and scurries off into the woods. Scattered along the way like a trail of stars, the yellow crumbs merge with the scales on his back. The owl that saw the scene hooted at the sky and poured fresh moonlight down the thirsty gullet of the hare on the run.
The last spasms shake the bodies before they fall asleep. Milune, Théofil, Oelha and Minthe will remain under the warm felts until the following spring.
*Burle is a wind that blows in winter in south-central France, east of the Massif Central on the plateaux of Velay, Ardèche and the Forez mountains.
*A hivernacle is a hibernation shelter. In the broadest sense, it refers to a part of an animal or plant organism that enables it to survive the difficult conditions (cold, frost, reduced light, lack of food) of winter. It can refer to the agricultural greenhouse.
*In botany, a fimbriated organ is finely and irregularly cut, as if it were fringed. The term also refers to the margin of mushroom caps or the edges of their blades.
Photos © Frédéric Houvert
À l’occasion de sa 30ème année, la Galerie Tator poursuit ses explorations polysensorielles. Suite à l’odorat, au goût, à l’ouïe et à la vue, ce dernier chapitre vient clore le cycle avec le sens du toucher, au travers de l’exposition «Quand je sais pas quoi faire, je vais sous un feutre» de Théophile Peris, où les visiteurices sont invité.es à s’immerger au sein d’antres ou de terriers, dont les parois sont constituées de feutres ou de laine de brebis brute.
Remerciements chaleureux à Juliette Bertrand, Simon Feydieu, Louis Lefèvre, Zélia Moussy, Chloé Pupier, Alessandra Prandin, Virginie Yassef et au Cyclop.
Vous arrivez à temps. Refermons la porte avant que le vent ne s’invite. Ici, le froid reste dehors. Si le corps trouve refuge, il est probable que les pensées s’égarent. Installez-vous; voici l’histoire :
Comme chaque année, la burle* se lève. Elle s’engouffre entre les massifs centraux pour annoncer l’hiver prêt à rouiller les graisses. Dans le bois gris, sur le sentier brun, quatre ombres se suivent comme loups en cavale : Milune la mule, Théofil l’humain, Oelha la brebis et Minthe la merle. Les chardons scratchés aux oreilles ornent leur tête encore ivre de l’été. Leurs dos chargés de laine sont en marche depuis quatre jours.
Une fois en vallée et riches des glanures copieuses, iels déchantent de n’avoir vu passer ni septembre ni octobre ni novembre. Dans la forêt vide, seul un carré orange : la fenêtre de Rouillo l’écureuil et Siston le triton, qui ont achevé leur hivernacle*, déroulé le tapis et allumé le feu. À la vue du groupe démuni, les deux prévoyants ouvrent un volet :
« Partez à l’est, vous trouverez un bout de terre avant que la bourrasque ne vous prenne ».
Un coup de nerf saisit les compères qui prennent le sentier jusqu’au creux d’un rocher où vent ne roule. Iels se délestent enfin et s’affairent à la construction. L’hivernacle sera fait de lourds feutres où abriter le lit mollet. Oelha commence à carder la toison, retirer les vieux bourgeons, Milune bat les feutres pour les dépoussiérer avant suspension. Théofil s’efforce de coudre, maladroit comme un humain ne sachant faire. Minthe lui réapprend, avant de becqueter la laine pour renflouer chaque trou : « Calfeutrons les recoins, avant que la burle ne s’y glisse comme une couleuvre non conviée ».
Après avoir œuvré jusqu’à n’entendre que leurs propres cœurs déglutir, iels se logent enfin sous l’épais refuge. La buée des museaux essoufflés s’enroule à la laine. La matière diffuse une chaleur solaire qui répare les crevasses et adoucit les os. Milune rompt le silence de la scène :
« L’hiver sera long. Laissons les tentures ocres réchauffer nos pieds et bercer nos souvenirs passés. » Têtes-bêches rivées aux murs, leurs yeux glissent en arrière et la fatigue les emporte vers des visions floues.
Les songes divaguent - tapent contre des mottes de vent. Les respirations font vibrer un étrange violoncelle courbé comme un coccyx. L’objet gît sur fond de braise - la cheminée peut-être ? Où l’écureuil égraine les épis et marine les feuilles de maïs pour faire le gâteau moelleux. Une fumée quitte la pièce et s’entortille entre les chênes dehors. Déboule l’insomniaque triton fimbrié* qui dérobe une part et file sous bois. Répandues en chemin comme une trainée d’étoiles, les miettes jaunes se confondent aux écailles de son dos. La chouette qui voit la scène hulule à délaver un ciel et fait couler la lune fraîche dans le gosier assoiffé du lièvre en cavale.
Les derniers spasmes agitent les corps avant qu’iels ne s’endorment. Milune, Théofil, Oelha et Minthe resteront sous les feutres tièdes jusqu’au printemps suivant.
*La burle est un vent qui souffle l’hiver dans le centre-sud de la France à l’est du Massif central sur les plateaux du Velay, d’Ardèche ou des monts du Forez.
*L’hivernacle est un abri destiné à l’hibernation. Au sens large, il désigne un élément d’organisme animal ou végétal permettant de survivre aux conditions difficiles (froid, gel, moindre luminosité, manque de nourriture) de l’hiver. Il peut désigner la serre agricole.
*En botanique, un organe fimbrié est finement et irrégulièrement découpé, comme s’il était frangé. Le terme désigne aussi la marge du chapeau des champignons ou l’arrête de leurs lames.
Fanny Van Opstal, nov. 2024
[EN]
To mark its 30th anniversary, the Galerie Tator is continuing its multi-sensory explorations. Following on from smell, taste, hearing and sight, this latest chapter brings the cycle to a close with the sense of touch, through the exhibition ‘Quand je sais pas quoi faire, je vais sous un feutre’ (‘When I don't know what to do, I go under a felt’) by Théophile Peris, where visitors are invited to immerse themselves in dens or burrows, the walls of which are made of felt or raw sheep's wool.
Warm thanks to Juliette Bertrand, Simon Feydieu, Louis Lefèvre, Zélia Moussy, Chloé Pupier, Alessandra Prandin, Virginie Yassef and Cyclop.
You're just in time. Let's close the door before the wind kicks in. Here, the cold stays outside. If the body finds shelter, thoughts are likely to wander. Here's the story:
Like every year, the burle* rises. It rushes between the central massifs to herald winter, ready to rust the fat. In the grey woods, on the brown path, four shadows follow each other like wolves on the run: Milune the mule, Théofil the human, Oelha the sheep and Minthe the blackbird. Thistles stuck to their ears adorn their heads, still drunk from summer. Their wool-laden backs have been on the move for four days.
Once they were in the valley and had gleaned so much, they were disappointed not to have seen September, October or November go by. In the empty forest, the only orange square is the window of Rouillo the squirrel and Siston the newt, who have completed their wintering*, rolled out the carpet and lit the fire. At the sight of the destitute group, the two farsighted men open a shutter: ‘Head east, you'll find a piece of land before the gale catches you’.
A sudden surge of nerves gripped the companions, who took the path to the hollow of a rock where there was no wind. They finally unburdened themselves and set to work on the construction. The winterhouse will be made of heavy felt to house the soft bed. Oelha starts carding the fleece and removing the old buds, while Milune beats the felts to remove the dust before hanging them up. Théofil tries his hand at sewing, as clumsy as a human who doesn't know how. Minthe taught him, before pecking at the wool to fill in each hole: ‘Let's caulk the nooks and crannies, before the burle slithers in like an uninvited snake’.
After working until all they could hear was their own hearts swallowing, they finally made their way under the thick shelter. The mist from their out-of-breath muzzles curls around the wool. The material radiates a solar heat that heals cracks and softens bones. Milune breaks the silence of the scene: ‘It's going to be a long winter. Let the ochre drapes warm our feet and cradle our past memories. Heads riveted to the walls, their eyes slide back and tiredness takes them into blurred visions.
Dreams wander - tapping against clods of wind. Breaths make a strange cello vibrate, curved like a coccyx. The object lies against a background of embers - the fireplace perhaps? Where the squirrel is shelling the cobs and marinating the corn leaves to make the fluffy cake. Smoke leaves the room and twists between the oak trees outside. The insomniac fimbriated newt* swoops in, steals a slice and scurries off into the woods. Scattered along the way like a trail of stars, the yellow crumbs merge with the scales on his back. The owl that saw the scene hooted at the sky and poured fresh moonlight down the thirsty gullet of the hare on the run.
The last spasms shake the bodies before they fall asleep. Milune, Théofil, Oelha and Minthe will remain under the warm felts until the following spring.
*Burle is a wind that blows in winter in south-central France, east of the Massif Central on the plateaux of Velay, Ardèche and the Forez mountains.
*A hivernacle is a hibernation shelter. In the broadest sense, it refers to a part of an animal or plant organism that enables it to survive the difficult conditions (cold, frost, reduced light, lack of food) of winter. It can refer to the agricultural greenhouse.
*In botany, a fimbriated organ is finely and irregularly cut, as if it were fringed. The term also refers to the margin of mushroom caps or the edges of their blades.
Fanny Van Opstal, November 2024
Photos © Frédéric Houvert