“Plongeoirs, Pylônes...”
Anne Marie Rognon, Flore Chemin
+ Addendum de Simon Roussin
Exposition du 24 nov. 2023 au 26 janv. 2024
Dans ce cadre, l'auteur illustrateur Simon Roussin propose un addendum, sous la forme de variations graphiques autour des univers picturaux des artistes invitées.

[FR] 
« Ce ne sont pas des noms d’artistes » 1

Anne Marie Rognon et Flore Chemin ne se connaissaient ni de visu, ni de nom; jamais sous leurs yeux ébahis, elles n’avaient fait défiler leurs profils Instagram. C’est rare de nos jours, à l’ère des réseaux sociaux, d’être en capacité de porter un regard parfaitement neuf et neutre, sans à-priori aucun, sur une œuvre. Provoquer cette rencontre semblait donc opportun.

Anne Marie, née en 1969 et formée à l’École des Beaux-Arts de Clermont-Ferrand, est artiste peintre. Elle réalise des peintures figuratives à l’acrylique, de formats variables, tout en tournant, depuis ses débuts, de courtes vidéos, qui pour elle, ont le statut de «tableaux animés».
Flore, née en 1989 et diplômée de la HEAR (Haute école des arts du Rhin) de Strasbourg, est illustratrice. Affiches, pochettes de disques ou fanzines sont conçus par ses soins, à l’occasion de concerts ou d’autres événements dans les milieux culturels alternatifs. Elle développe, en parallèle, une pratique de dessin sur papier et de peinture à la gouache sur bois, de très petit format, pouvant être assimilée au genre de la miniature 2.

Toutes deux partagent toutefois plusieurs similitudes et quelques paradoxes... Elles sont tout d’abord ‘affublées’ d’un nom de famille au signifié simple et imagé, en lien avec leur activité. Tel un aptonyme 3, leur patronyme semble être particulièrement « apte » ou approprié. Il a, sans conteste, su faire naître des envies de représentation textuelle, chez chacune d’entre elles : Anne Marie a consacré une très courte vidéo aux rognons, à l’humour décalé, intitulée «C’est pas un nom d’artiste», tandis que Flore décline de manière quasi obsessionnelle et inconsciente, le motif du chemin ou de la perspective. Une série récente de motifs floraux peints sur carreaux de ciment fait aussi fortement écho à son prénom. Quid de l’œuf ou de la poule…

Elles vivent dans la diagonale du vide. Elles travaillent au sein d’ateliers collectifs 4 où elles sont parfaitement intégrées car parties prenantes. Elles peignent, de manière spontanée, libre et jubilatoire, des images ou des visions qui les traversent à l’état d’éveil et de sommeil, ou qui surgissent parfois directement de leurs supports, par association d’idées formelles. Elles font usage de couleurs vives et saturées. Quand elles ne sont pas satisfaites d’une partie de leur composition, elles l’effacent en procédant par recouvrement. Leur rapport au réel est tout à la fois littéral et surréel. L’ordinaire, le familier se frottent à l’étrange, l’incongru voire à l’absurde. Un chemin, un pylône, une colline, un coquillage... Des rognons, une échelle, un cornet de frites, une tractopelle… Variations sur le même thème à la manière de la célèbre chanson « Les eaux de mars » 5 : ‘Un pas, une pierre, un chemin qui chemine … ‘.

Elles s’aventurent parfois à sortir discrètement du cadre, en basculant du côté de la trois dimension, produisant des installations de petite taille, composées de volumes, réalisés à partir de matériaux modestes et/ou d’éléments glanés : chutes de textile, tasseaux de bois, argile, pâte à modeler, papier mâché, babioles diverses et variées…, souvent présentées sur une étagère, adossées au mur ou accrochées dans l’angle d’une pièce, comme acculées ou abritées dans une niche (à l’abri des regards ?). On y retrouve les figures/silhouettes et les objets caractéristiques des gouaches de l’une ou des peintures de l’autre, tels les personnages et accessoires d’une saynète, qui pourraient être activés au sein d’un petit décor, pour les besoins d’une vidéo ou d’une performance.
Rien de spectaculaire ici : l’échelle est petite, la facture rudimentaire, l’esthétique faite de bric et de broc… Au premier regard, ces projections mentales ou (re)constructions partielles et subjectives du réel, s’apparentent à des assemblages du dérisoire. Elles parviennent néanmoins à nous projeter, avec force, dans des univers familiers, teintés de mélancolie et d’espièglerie enfantine. En quelque sorte, elles constituent la grammaire d’un langage universel dans l’évocation de l’essence même de la vie.

Anne Marie et Flore partagent enfin cette même envie de nous (ra)conter une histoire, ce souci permanent de la narration, tout en se laissant aller à l’impulsion du geste, à la poésie de l’improvisation, jusqu’à représenter l’informe et friser l’abstraction.

Marie Bassano, nov. 2023


1 Titre inspiré de la vidéo « C’est pas un nom d’artiste », d’Anne Marie Rognon, 1999
2 Miniature : Peinture fine de petits sujets servant d’illustration aux manuscrits (enluminure); Genre de peinture délicate de très petit format (Source: Le Robert)
3 Aptonyme : Nom de famille qui semble refléter plaisamment l’occupation, professionnelle notamment, de quelqu’un. (Source: Larousse)
4 Depuis 2018, Anne Marie Rognon a intégré les ateliers collectifs de La Diode (anciennement Les Ateliers de Clermont-Ferrand). Flore Chemin fait partie des membres actifs du collectif La Calade (Hôtel du Sénéchal à Urzerche, Corrèze).
5 « Les eaux de mars », morceau musical interprété par Georges Moustaki, traduction française de la chanson brésilienne « Aguas de Março » d’Élis Regina & Tom Jobim, 1974.




[EN] 
"These are not artists' names" 1

Anne Marie Rognon and Flore Chemin didn't know each other by face or by name; they'd never scrolled through their Instagram profiles before their astonished eyes. It's a rare thing these days, in the age of social networking, to be able to take a completely fresh, neutral, unprejudiced look at a work of art. So it seemed only fitting to provoke this encounter.

Anne Marie, born in 1969 and trained at the École des Beaux-Arts in Clermont-Ferrand, is a painter. She makes figurative acrylic paintings in variable formats, while at the same time shooting short videos, which for her have the status of "animated paintings".
Flore, born in 1989 and a graduate of HEAR (Haute école des arts du Rhin) in Strasbourg, is an illustrator. She designs posters, record sleeves and fanzines for concerts and other events in alternative cultural circles. At the same time, she is developing a practice of drawing on paper and painting with gouache on wood, in very small format, which can be likened to the miniature genre 2.

However, both share a number of similarities and paradoxes... First and foremost, they both have a surname with a simple, graphic meaning, linked to their activity. Like an aptonym 3, their surname seems particularly "apt" or appropriate. Anne Marie has devoted a very short video to kidneys (Rognon in French), with an offbeat sense of humor, entitled "C'est pas un nom d'artiste" (It's not an artist's name), while Flore almost obsessively and unconsciously uses the motif of the path or perspective (Chemin in French). A recent series of floral motifs painted on cement tiles also strongly echoes her first name. The chicken or the egg...

They live in the heart of France (la diagonale du vide in French, meaning in the middle of nowhere). They work in collective studios 4, where they are fully integrated as stakeholders. They paint, spontaneously, freely and jubilantly, images or visions that come to them, while awake and asleep, or that sometimes emerge directly from their canvases, by association of formal ideas. They use bright, saturated colors. When they are dissatisfied with a part of their composition, they erase it by overlaying. Their relationship with reality is both literal and surreal. The ordinary and the familiar rub shoulders with the strange, the incongruous and even the absurd. A path, a pylon, a hill, a shell... Kidneys, a ladder, a cone of French fries, a backhoe... Variations on the same theme in the manner of the famous song "Les eaux de mars" 5: 'Un pas, une pierre, un chemin qui chemine ... '.

Occasionally, they venture discreetly out of the frame, tilting towards the three-dimensional, producing small-scale installations composed of volumes, made from modest materials and/or gleaned elements: textile scraps, wooden strips, clay, modeling clay, papier-mâché, various and sundry trinkets..., often presented on a shelf, leaning against a wall or hung in the corner of a room, as if cornered or sheltered in a niche (out of sight?). The figures/silhouettes and objects characteristic of the gouaches of one artist or the paintings of the other are to be found here, like characters and props in a play, which could be activated within a small set, for the purposes of a video or performance. 
Nothing spectacular here: the scale is small, the workmanship rudimentary, the aesthetics bric-a-brac... At first glance, these mental projections or partial, subjective (re)constructions of reality seem like assemblages of the derisory. Nevertheless, they project us forcefully into familiar worlds, tinged with melancholy and childlike playfulness. In a way, they constitute the grammar of a universal language, evoking the very essence of life.

At last, Anne Marie and Flore share the same desire to tell a story, the same constant concern for narration, while letting themselves go to the impulse of gesture, to the poetry of improvisation, to the point of representing formlessness and verging on abstraction.

Marie Bassano, November 2023


1 Title inspired by the video "C'est pas un nom d'artiste", by Anne Marie Rognon, 1999
2 Miniature: Fine painting of small subjects used to illustrate manuscripts (illumination); type of delicate painting in very small format (Source: Le Robert)
3 Aptonym: A surname that seems to reflect someone's occupation, especially a professional one (Source: Larousse).
4 Since 2018, Anne Marie Rognon has joined the collective studios of La Diode (formerly Les Ateliers de Clermont-Ferrand). Flore Chemin is an active member of the La Calade collective (Hôtel du Sénéchal in Urzerche, Corrèze).
5 "Les eaux de mars", musical piece performed by Georges Moustaki, French translation of the Brazilian song "Aguas de Março" by Élis Regina & Tom Jobim, 1974.



Within the framework of this exhibition, illustrator Simon Roussin proposes an addendum, in the form of graphic variations on the pictorial universes of the guest artists.




Photos 1 à 5, 8 à 13, 15 à 26, 28 & 31 © Frédéric Houvert
Photos 6, 7, 14, 27, 29 & 30 © Chloé Pupier