“Job control”
Théo Massoulier
Exposition du 15 sept. au 10 nov. 2023
Suite à une Résidence Art & Entreprise dans les ateliers de Ducaroy-Grange, avec le soutien de la DRAC Auvergne Rhône-Alpes
[FR] 
Théo Massoulier puise son inspiration dans un registre à la fois archaïque et futuriste. Ses œuvres se composent d’éléments technologiques, rebuts et déchets assemblés. L’agencement des sculptures hybrides révèlent à la fois un caractère naturel et artificiel. Souvent, une lumière rasante quasi fluorescente découpe les contours de fragments d’éponges ou de coraux électrisés. Ils accompagnent des morceaux de plastique ou grilles métalliques qui rappellent les cartes mémoires, les connecteurs et les microprocesseurs. Ces composants physiques constituent le squelette de nos ordinateurs, ils permettent la communication entre différents éléments. Théo Massoulier forge une symbiose entre des ingrédients que tout semble opposer, il sème le doute sur leur origine. Ses objets mutants suscitent à la fois le trouble, l’inquiétude, la fascination et le rêve. L’artiste nous immerge dans la fiction d’un futur probable où les océans cracheront bientôt ces détritus étranges.

À la Galerie Tator, l’exposition «Job control» catalyse un moment charnière de la trajectoire de Théo Massoulier : les assemblages miniaturisés quittent les écrins lumineux ou les socles pour côtoyer les murs. Entre bas-relief et marqueterie, ils deviennent les motifs de peintures métissées. Le titre de l’exposition fait référence au logiciel laser JobControl qui permet de découper le plexiglas. Une résidence de huit mois au sein de l’entreprise Ducaroy-Grange permet à l’artiste de faire l’expérience de la peinture aérographe et de la découpe laser. À la découverte du logiciel dont la machinerie démultiplie les capacités humaines pour aller vers plus de vitesse, de précision, d’efficacité, il traverse un choc esthétique. Sous la forme d’une croix, une tête de laser se déplace via des axes rectilignes à la surface du plexiglas. Cette technologie fascine Théo Massoulier car elle optimise l’espace sous une forme quadrillée : « les déplacements de la tête laser m’ont fait penser au processus de robotisation à plus large échelle. De cette observation d’une machine déjà bien répandue, la découpeuse laser, est née une pensée sur l’esthétique de la robotisation. Les automates ou robots industriels sont contraints dans leurs déplacements par la géométrie décidée par l’ingénieur. Mais la relation est à double sens puisque la machine contraint l’humain à certaines utilisations, elle canalise des possibilités. Ce va-et-vient crée ce que les biologistes de la complexité appellent une co-évolution. En voyant l’action de la tête laser, j’ai vu la co-évolution. ».

Pour l’exposition, il puise dans différentes représentations comme la structure du virus de la peste ou d’un être unicellulaire qui éclate. On observe des membranes, des frontières, des capteurs. Chaque « sensor plug » aimanté fonctionne en binôme avec le fond des peintures. Ils sont interchangeables, voués à permuter d’une surface à l’autre. Théo Massoulier réfléchit à l’activation de la peinture. Il s’intéresse au mouvement néo-géo qui émerge dans les années 1980 aux États-Unis. Les artistes ont alors mixé les codes de la peinture à ceux des signalétiques urbaines, révélant une analyse de l’industrialisation et de la marchandisation du monde. Théo Massoulier détache à son tour les signes du fond de l’image. Il use de matériaux synthétiques, comme Peter Halley qui défendait l’idée que les représentations géométriques ne sont pas nécessairement abstraites ou éloignées de la réalité. L’artiste nous éclaire : « Peter Halley a réussi à forger une métaphore de la figure du diagramme, qui est une schématisation visuelle d’une complexité systémique (à l’échelle de l’organisation managériale d’une entreprise ou à l’échelle planétaire, par exemple les diagrammes du rapport du GIEC1 sur l’Anthropocène). C’est une manière d’appréhender des phénomènes complexes par une représentation imagée simple. La peinture d’Halley engage la réflexion autour des notions d’automatisation. Elle interroge aussi les notions de circulation des êtres, des objets, des fluides et d’interdépendance ou d’enfermement. ».

Théo Massoulier colle les pièces en métal extirpées des vidéo-projecteurs ou des ordinateurs démembrés. Il y assemble des plaques de verre dichroïque, capables de séparer un faisceau lumineux en deux reflets colorés distincts. Les fonds sont peints au pistolet, selon un pointillisme qu’il qualifie de « millimétrique ». Aujourd’hui, les dérives néolibérales des années 1980 se sont radicalisées et institutionnalisées. Les œuvres de l’exposition mêlent corps mécaniques et humains : la modélisation d’une maladie épidémique, contagieuse et mortelle fait écho aux épreuves qui ont récemment traversé nos vies avec fracas. Omniprésente jusqu’alors dans sa démarche, l’esthétique organique s’amoindrit progressivement. La série présentée à la Galerie Tator est plus minimale et électronique. Elle travaille en profondeur les dichotomies entre microcosme et macrocosme, ressource et déchet. «Job control» s’imprègne aussi d’inspirations récentes comme la peinture géométrique de Dan Walsh qui revêt un caractère mécanique, à la lisière de l’atmosphère psychédélique.

Élise Girardot, août 2023


1 Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat est un organisme intergouvernemental chargé d’évaluer l’ampleur, les causes et les conséquences du changement climatique.



[EN] 
Théo Massoulier draws his inspiration from a register that is both archaic and futuristic. His works consist of technological elements, scrap and assembled waste. The arrangement of hybrid sculptures reveals both a natural and artificial character. Often, an almost fluorescent grazing light cuts the contours of fragments of electrified sponges or corals. They accompany pieces of plastic or metal grids reminiscent of memory cards, connectors and microprocessors. These physical components constitute the skeleton of our computers, they allow communication between different elements. Théo Massoulier forges a symbiosis between ingredients that everything seems to oppose, he sows doubt about their origin. His mutant objects arouse trouble, worry, fascination and dreams. The artist immerses us in the fiction of a probable future where the oceans will soon spew out this strange detritus.

At Galerie Tator, the exhibition "Job control" catalyzes a pivotal moment in Théo Massoulier's trajectory: miniaturized assemblages leave the luminous boxes or pedestals to rub shoulders with the walls. Between bas-relief and marquetry, they become the motifs of mixed paintings. The title of the exhibition refers to the JobControl laser software that cuts plexiglass. An eight-month residency at Ducaroy-Grange allowed the artist to experiment with airbrush painting and laser cutting. Discovering the software whose machinery multiplies human capabilities to go towards more speed, precision, efficiency, he goes through an aesthetic shock. In the form of a cross, a laser head moves via rectilinear axes on the surface of the plexiglass. This technology fascinates Théo Massoulier because it optimizes space in a grid form: "The movements of the laser head made me think of the robotization process on a larger scale. From this observation of an already widespread machine, the laser cutter, was born a thought on the aesthetics of robotization. Automatons or industrial robots are constrained in their movements by the geometry decided by the engineer. But the relationship is two-way since the machine forces humans to certain uses, it channels possibilities. This back and forth creates what complexity biologists call co-evolution. Seeing the action of the laser head, I saw co-evolution. ».

For the exhibition, he draws on different representations such as the structure of the plague virus or a single-celled being that bursts. We observe membranes, borders, sensors. Each magnetic "sensor plug" works in tandem with the background of the paintings. They are interchangeable, destined to switch from one surface to another. Théo Massoulier reflects on the activation of painting. He is interested in the neo-geo movement that emerged in the 1980s in the United States. The artists then mixed the codes of painting with those of urban signage, revealing an analysis of industrialization and the commodification of the world. Théo Massoulier in turn detaches the signs from the background of the image. He uses synthetic materials, such as Peter Halley, who defended the idea that geometric representations are not necessarily abstract or distant from reality. The artist enlightens us: "Peter Halley has succeeded in forging a metaphor for the figure of the diagram, which is a visual schematization of systemic complexity (at the scale of the managerial organization of a company or on a global scale, for example the diagrams of the IPCC1 report on the Anthropocene). It is a way of apprehending complex phenomena through a simple pictorial representation. Halley's painting engages reflection around the notions of automation. It also questions the notions of circulation of beings, objects, fluids and interdependence or confinement. ».

Théo Massoulier glues metal parts extracted from video projectors or dismembered computers. He assembled dichroic glass plates, capable of separating a light beam into two distinct colored reflections. The backgrounds are spray-painted, according to a pointillism that he describes as "millimeter". Today, the neoliberal excesses of the 1980s have become radicalized and institutionalized. The works in the exhibition mix mechanical and human bodies: the modeling of an epidemic, contagious and deadly disease echoes the trials that have recently crossed our lives with a bang. Omnipresent until then in his approach, the organic aesthetic gradually diminished. The series presented at Galerie Tator is more minimal and electronic. They work in depth on the dichotomies between microcosm and macrocosm, resource and waste. "Job control" is also imbued with recent inspirations such as Dan Walsh's geometric painting, which has a mechanical character, on the edge of the psychedelic atmosphere.

Élise Girardot, August 2023


1 The Intergovernmental Panel on Climate Change is an intergovernmental body responsible for assessing the magnitude, causes and consequences of climate change.




https://www.reseau-entreprendre.org/fr/blog/residence-dartiste-en-entreprise/



Photos © Frédéric Houvert