“Générosité égoïste”
Florent Poussineau
Exposition du 6 décembre 2018 au 25 janvier 2019


La pratique de Florent Poussineau se situe entre l’acte performatif, la vidéo et l’installation. Il met en jeu la relation que nous entretenons avec la nourriture dans nos sociétés occidentales : une garantie de subsistance de l’homme, un acte culturel, communautaire ou individuel qui évolue dans un contexte et une époque particulière. Il utilise les aliments et ingrédients tant comme un matériau noble proche de l’oeuvre d’art, élitiste, que comme un élément répulsif. Grâce à eux, il joue, hiérarchise, provoque des sentiments contradictoires et reproduit de façon induite certains schémas comportementaux présents dans notre société de consommation.

Dès le plus jeune âge il a pu échanger, apprendre, découvrir et parfaire son apprentissage avec des professionnels des métiers de bouche. son père étant pâtissier, il est depuis de nombreuses années son premier professeur. C’est dans l’environnement familial et social que l’éducation prend ses racines. Ses préoccupations artistiques ont pour base la recherche de ce qui fait de chaque individu, ce qu’il est et ce qu’il représente dans un monde actuel. La quête pour partir à la recherche d’un temps perdu démontre qu’il n’est pas tant perdu que ça, le comportement que nous avons en société, les règles de bonnes conduites ou bien de savoir-vivre sont ancrées en nous depuis notre enfance. Que se passe-t-il lorsque l’environnement est détourné ou inconnu et que l’on dépasse les codes dictés par nos Pères ? Ces environnements proposés sont sous le signe de la convivialité et de la découverte de l’autre, mais aussi de soi-même.

Le partenariat avec les professionnels de métier de bouche est très important dans son travail. Il questionne le statut de l’artiste/artisan, du territoire gastronomique ainsi que du savoir-faire. L’artiste provoque l’échec par la non-maîtrise d’une technique, mais démontre en même temps un quotidien qui appartient aux professionnels et qui est méconnu. Il permet également de générer un échange qui place chaque interlocuteur au même rang hiérarchique, professionnels culinaires et professionnels artistiques, afin que chacun apprenne de l’autre.

L’acte performatif lui permet de mettre en exergue le geste technique, l’aliment ou le convive. Le corps prend une place importante lors de ces moments d’expérience, tantôt pour créer une posture autoritaire tantôt pour le pousser dans l’extrême de ses capacités à subir son rapport à l’alimentation. Dans notre société occidentale et plus particulièrement en France, le repas gastronomique Français est maintenant classé au patrimoine mondial immatériel de l’Unesco. Il est donc important d’aborder les sujets en lien à la haute gastronomie, mais il est aussi indispensable de parler de junk food, street food ou de malbouffe qui relèvent tout autant de notre quotidien.

Dissimulé derrière la volonté de ne pas décevoir ou d’être perçu positivement, la part d’égoïsme fait en réalité pleinement partie de l’acte de générosité. Prendre du plaisir en donnant du plaisir à l’autre, assouvir des désirs non formulés en répondant à un besoin ou une envie avant que l’autre n’en fasse la demande. La malice est chez celui qui offre, l’autre, satisfait, en oublie de voir le plaisir qu’il procure par sa réaction. L’offrande culinaire procure ce sentiment à tout hôte. Offrir l’hospitalité c’est donner quelque chose de soi, au-delà du service comme d’accueillir en soi la joie ou la souffrance de l’autre. L’essentiel est dans le geste, donner à boire et à manger, héberger, écouter. L’artiste lui-même invoque ces sentiments par la monstration de ses réalisations artistiques. Il propose l’accès à des recherches plastiques qui viennent de son intimité, de ses convictions, de son passé, de ses souvenirs, etc.

Présomption, 2018, petits choux, fer, sucre rocher, installation culinaire:
La quantité génère ici à l’oeil la plasticité de l’oeuvre. Ces 2079 petits choux à la crème sont un prétexte à la réalisation des fantasmes que l’on peut avoir, enfant. Les écrits de fiction reflètent ce désir de foisonnement culinaire, de la maison en pain d’épice jusqu’à la corne d’abondance, en passant par l’antre de Polyphème. Dans notre société occidentale le rapport à la gratuité et la profusion de nourriture provoque un sentiment de liberté. La bienséance autour de nos habitudes alimentaires est mise ici de côté pour laisser place au plaisir de bouche.

Les huit autoportraits de l’artiste sont une allégorie de l’égocentrisme et l’arrogance du plasticien; en d’autres termes, une caricature de sa personnalité.

Ces visages accompagnent, surveillent et chaperonnent la dégustation de l’installation culinaire. Les spectateurs, en mangeant ces petits choux, réalisent le nouveau visuel de cette pensée artistique, mais toujours sous la tutelle des visages instigateurs de ce moment partagé. Ces visages sortent d’une matière, le sucre, impérissable si maintenu dans de bonnes conditions. Ils évoquent une certaine fragilité de par leur suspension. Ils voient ainsi leur autorité facilement contrariable.

Transmission, 2017, documentaire, 16min 20s :
C’est dans la recherche de l’éveil que cette vidéo se positionne. Avec la pleine conscience d’un environnement et d’un patrimoine qui l’entoure, elle révèle une pensée collective, un lieu, une réalité et un quotidien. Cette vie qui ne nous appartient pas, mais qui est celle des personnes filmées. Ce n’est pas une fiction. Une vie animale à été prise et un père explique à son fils une vérité cachée sur notre alimentation occidentale. Il s’agit ici de la transmission d’un savoir faire et d’une tradition. L’éducation de certains rituels se fait de père en fils et ce depuis des générations. La façon de faire reste la même peu importe l’évolution des moeurs qu’elles soient bonnes ou mauvaises. Celle-ci n’est qu’un exemple.

L’amour, 2018, Pâte d’amande, bois, verre, sachet de silice, dimensions variables :
La conception de l’amour se définit comme la recherche de sa moitié ou comme le désir de ne faire plus qu’un. Ces deux matériaux brutes symbolisent l’attirance affective. L’amour du corps est inférieur à l’amour de l’esprit, car le premier est éphémère : « Dès que la fleur de ce corps qu’il aimait est fanée, il s’envole à tire d’ailes, trahissant tous ses discours et ses promesses. Tandis que celui qui aime l’âme en reste l’amant toute sa vie, parce qu’il adhère à quelque chose de constant» (Le Banquet, Platon). Le bois et la pâte d’amande, par leurs qualités plastiques, se lient l’un à l’autre. Installée verticalement, cette forme démontre sa fragilité.

Tout comme un sentiment amical ou amoureux il faut le protéger et l’entretenir. Une mauvaise attention de l’hydrométrie du lieu, où sont installés ces assemblages, provoquera la séparation des éléments.

Florent Poussineau

Carton d'invitation © Florent Poussineau et Olivia Mondoloni
Photos © David Desaleux