“Festin”
Jean-Baptiste Bonhomme, Floris Dutoit
Exposition Hors Les Murs 

Participation à la 4ème édition de Sillon - Biennale d’Art & des Cultures, Dieulefit (Drôme), du 11 au 26 oct. 2025

[FR]
Nous pénétrons dans une scène figée, une nature morte contemporaine: celle d’un festin de malbouffe brutalement interrompu...Partout, des emballages issus d’une célèbre chaîne américaine de fast-food jonchent le sol et recouvrent les surfaces d’une cuisine désormais abandonnée. Étrangement, ces déchets sont ornés d’illustrations inspirées de la mythologie grecque, comme si l’on cherchait à nous faire contempler ces objets tels des artefacts contemporains, dignes d’une fouille archéologique. Alors, à quelle époque sommes-nous exactement ? Dans une dystopie post-cataclysmique ?

Les anciens occupants de cette demeure bourgeoise ont-ils fui précipitamment ? Ont-ils été chassés par une catastrophe naturelle comparable à une éruption volcanique ? Contrairement aux habitants de Pompéi, ils ont visiblement eu le temps de prendre la fuite. Les restes du repas semblent figés, calcinés, presque pétrifiés sous une couche de lave.

Sur les murs décatis, une galerie de portraits porcins – sans doute une famille – nous dévisage de leurs yeux ronds écarquillés. Certains arborent des dents carnassières, rappelant leur nature omnivore décomplexée, semblable à celle des humains. Sont-ils les véritables convives de ce dernier banquet ou les spectateurs passifs de notre propre décadence consumériste ?


Jean-Baptiste Bonhomme, pâtissier de formation et artiste plasticien autodidacte aux pratiques multiples, investit entre autres le champ de la céramique. Il conçoit des sculptures à l’échelle 1, reproduisant des emballages issus de l’industrie agroalimentaire, qu’il recouvre de couches épaisses d’émaux. Par leurs surfaces colorées, brillantes et dégoulinantes, ses céramiques semblent emprunter aux codes visuels de la pâtisserie.

Floris Dutoit, artiste peintre, développe une pratique picturale relevant d’une figuration naïve, dans laquelle les représentations animales occupent une place importante. Les peintures présentées dans cette exposition sont réalisées à partir de résine teintée dans la masse, qu’il coule directement sur la surface de la toile selon un procédé proche du pouring, conférant à ses compositions une matérialité singulière et un aspect s’apparentant également à l’icing ou au glaçage en pâtisserie.

Tous deux partagent une esthétique marquée par le mauvais goût assumé et la surcharge visuelle (excès, débordement, prolifération, envahissement, enflement...), qui n’est pas sans évoquer les productions d’artistes américains des années 1980 et 1990 tels que Paul McCarthy ou Mike Kelley. En s’appuyant sur des motifs du quotidien — le bestiaire anthropomorphe, emblématique du comique animalier chez Floris Dutoit, ou encore le détournement d’objets liés à la consommation de masse chez Jean-Baptiste Bonhomme — ils explorent des thématiques que l’on pourrait qualifier d’infantiles ou de régressives. Leur travail mobilise en effet une iconographie triviale, parfois grotesque, composée de caricatures d’animaux humanisés chez Floris, d’emballages emblématiques de la chaîne McDonald’s chez Jean-Baptiste, et s’appuie parfois sur un humour potache, voire scatologique.

On y décèle un ensemble de références culturelles populaires communes, issues notamment de l’imaginaire américain : publicités de fast-food, dessins animés, comics, images virales issues des réseaux sociaux, jusqu’à des citations directes de la culture pop — dans une approche quasi Warholienne chez Jean-Baptiste, où les logos de consommation sont transformés en artefacts archéologiques et deviennent objets de sacralisation.

À l’instar des artistes américains cités plus haut – figures emblématiques de ce que l’historien et critique d’art Morgan Labar qualifie d’art « bête » dans La Gloire de la bêtise1 – leur démarche artistique adopte une posture ambivalente, à la fois critique, absurde, et empreinte d’une certaine fascination pour les objets ou symboles qu’elle détourne.

Festin met ici en scène un univers post-catastrophe, qui propose une lecture désenchantée du monde contemporain, évoquant le déclin de notre civilisation façonnée par la consommation de masse. Ce qui s’offre à notre regard relève d’une véritable archéologie du présent : des artefacts contemporains figés comme des vestiges culturels, notre époque étant déjà à l’état de ruines. La figure de l’animal anthropomorphisé constitue une allégorie évocatrice de la décadence humaine. Il agit alors comme une métaphore miroir, reflétant un double grotesque et distordu de l’humain, annonçant un retour de notre bestialité originelle et amplifiant nos failles, nos contradictions et nos travers (de porcs ;) ?).

Ni les peintures de Floris, ni les céramiques de Jean-Baptiste ne prétendent corriger le monde, et encore moins en offrir une lecture morale. Elles se contentent de le refléter dans toute sa complexité et ses contradictions à travers le détournement, l’exagération ou l’absurde. Ce regard volontairement déformé met en lumière ce que la société tend à occulter : son avidité, ses incohérences et ses dérives.

Marie Bassano, sept. 2025.


1 Morgan Labar, *La Gloire de la bêtise. Régression et superficilités dans les arts depuis la fin des années 1980*, Dijon, Les presses du réel, 2024



[EN]
We enter a frozen scene, a contemporary still life: that of a junk food feast brutally interrupted... Everywhere, packaging from a famous American fast food chain litters the floor and covers the surfaces of a now abandoned kitchen. Strangely, this rubbish is adorned with illustrations inspired by Greek mythology, as if we were being encouraged to contemplate these objects as contemporary artefacts, worthy of an archaeological dig. So, what era are we in exactly? A post-cataclysmic dystopia?

Did the former occupants of this bourgeois residence flee hastily? Were they driven out by a natural disaster comparable to a volcanic eruption? Unlike the inhabitants of Pompeii, they clearly had time to escape. The remains of the meal seem frozen, charred, almost petrified under a layer of lava.

On the decaying walls, a gallery of pig portraits – undoubtedly a family – stare at us with their wide, round eyes. Some display carnivorous teeth, reminiscent of their unapologetic omnivorous nature, similar to that of humans. Are they the real guests at this final banquet or passive spectators of our own consumerist decadence?


Jean-Baptiste Bonhomme, a trained pastry chef and self-taught visual artist with multiple practices, works in the field of ceramics, among others. He designs life-size sculptures, reproducing packaging from the food industry, which he covers with thick layers of enamel. With their colourful, shiny and dripping surfaces, his ceramics seem to borrow from the visual codes of pastry making.

Floris Dutoit, a painter, has developed a pictorial practice based on naïve figuration, in which animal representations occupy an important place. The paintings presented in this exhibition are made from mass-dyed resin, which he pours directly onto the surface of the canvas using a process similar to pouring, giving his compositions a unique materiality and an appearance reminiscent of icing or glaze in pastry.

Both share an aesthetic marked by deliberate bad taste and visual overload (excess, overflow, proliferation, invasion, swelling...), reminiscent of the work of American artists of the 1980s and 1990s such as Paul McCarthy and Mike Kelley. Drawing on everyday motifs—the anthropomorphic bestiary, emblematic of Floris Dutoit's animal comedy, or the détournement of objects linked to mass consumption in Jean-Baptiste Bonhomme's work—they explore themes that could be described as childish or regressive. Their work draws on trivial, sometimes grotesque iconography, consisting of caricatures of humanised animals in Floris's work and iconic McDonald's packaging in Jean-Baptiste's, and is sometimes based on schoolboy humour, even scatological humour.

We can detect a set of common popular cultural references, drawn in particular from the American imagination: fast food advertisements, cartoons, comics, viral images from social media, and even direct quotes from pop culture—in an almost Warholian approach by Jean-Baptiste, where consumer logos are transformed into archaeological artefacts and become objects of sacralisation.

Like the American artists mentioned above—emblematic figures of what historian and art critic Morgan Labar describes as ‘stupid’ art in La Gloire de la bêtise1—their artistic approach adopts an ambivalent stance, at once critical, absurd, and imbued with a certain fascination for the objects or symbols it appropriates.

Festin depicts a post-catastrophic universe, offering a disenchanted view of the contemporary world and evoking the decline of our civilisation shaped by mass consumption. What we see is a veritable archaeology of the present: contemporary artefacts frozen like cultural relics, our era already in ruins. The anthropomorphised animal figure is an evocative allegory of human decadence. It acts as a mirror metaphor, reflecting a grotesque and distorted double of the human, heralding a return to our original bestiality and amplifying our flaws, contradictions and foibles (pork pigs in French ;) ?).

Neither Floris' paintings nor Jean-Baptiste's ceramics claim to correct the world, let alone offer a moral interpretation of it. They simply reflect it in all its complexity and contradictions through diversion, exaggeration or absurdity. This deliberately distorted view highlights what society tends to obscure: its greed, its inconsistencies and its excesses.

Marie Bassano, September 2025.


1 Morgan Labar, *La Gloire de la bêtise. Régression et superficilités dans les arts depuis la fin des années 1980 (The Glory of Stupidity: Regression and Superficiality in the Arts since the Late 1980s)*, Dijon, Les presses du réel, 2024



Photos © Jean-Baptiste Bonhomme  & Floris Dutoit