Fabien Villon


Résidence du 1er avril au 5 sept. 2025

Fabien Villon, artiste plasticien, développe une pratique multi-disciplinaire (sculpture, installation, peinture), ancrée dans l’expérimentation. Il interroge le passage du temps et l’esthétique des accidents, les concevant comme des forces malléables qui relient matière, image et environnement. Depuis quelques temps, il intègre la géobiologie à sa démarche, explorant les interactions entre art et phénomènes énergétiques.


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J’ai abordé ma résidence comme un acte d’habiter les lieux, dans un aller-retour constant entre les énergies présentes et mon propre parcours.

Depuis près de trois ans, je me forme à la géobiologie, discipline à la croisée de la science et de l’ésotérisme. Elle consiste à détecter et ressentir les énergies du sol – lignes telluriques, réseaux électromagnétiques, veines d’eau – et, si besoin, à transformer un espace nocif en lieu équilibré. J’ai commencé à expérimenter cette pratique à travers un projet de performance au long cours avec l’artiste australien Shaun Gladwell. Cela m’a conduit à repenser ma manière de travailler en intégrant davantage les forces subtiles qui traversent l’espace, souvent imperceptibles pour la plupart d’entre nous. L’invitation en résidence à la Factatory a été l’occasion de mettre en œuvre plastiquement ces questionnements.

Dès lors, comment rendre visible l’invisible ?

Au début, je n’avais pas de projet arrêté, sinon l’intuition diffuse d’un temple, en résonance avec ma performance avec Shaun. J’ai donc commencé par cartographier le terrain de la Factatory avec mon antenne de Lecher, révélant lignes, nœuds, veines d’eau et points énergétiques. J’ai découvert avec surprise une ligne double – une Ley Line et une ligne d’or – traversant la maison et une partie du terrain. Les Ley Lines relient depuis l’Antiquité des lieux sacrés, tandis que les lignes d’or se retrouvent dans de nombreuses cathédrales et espaces de culte. J’ai alors décidé de dormir sur cette ligne pour observer l’effet sur mes rêves, mon imaginaire et donc mon travail. Mais pour cela, il fallait concevoir un lit adapté, capable d’intensifier l’énergie présente. Je me suis souvenu des appuie-têtes d’Éthiopie que nous avions exposés avec Le Gentil Garçon à Arles : héritiers directs des appuie-têtes de l’Égypte antique, conçus comme des supports à rêves, ils permettent au corps et à l’esprit de basculer dans l’ailleurs.

Le tilleul de la Factatory s’est imposé naturellement. Arbre majestueux, sacré pour les Slaves et les Celtes, il avait laissé au sol de grandes branches coupées l’année précédente. J’ai sculpté mon appuie-tête dans l’une d’elles. Le lit qui en a découlé a été construit uniquement à partir de matériaux prélevés sur place : tubes d’acier rouillés adossés à l’arbre, bois du terrain, proportions réglées sur la coudée royale égyptienne. Une transmutation d’énergie, entre forme, matière, fonction et mémoire. Chaque sculpture, chaque objet naît de mes propres gestes et d’une même intention : tisser une continuité entre la matière, l’expérience et le rêve. Je travaille avec ce qui m’entoure et m’habite, cet ensemble a pris corps lors de ma résidence — fusains façonnés dans le tilleul, huile parfumée et hydromel à partir de ses fleurs, contenants en céramique émaillés à la cendre de ce même arbre, aux éclats de pare-brise accidenté et à la poudre d’acier. Même le papier, support à songes, est fabriqué à partir des restes de mes croquis, de cartons alimentaires ou de fibres de tilleul, comme si chaque œuvre formait un cycle complet, une renaissance où le matériau se souvient de son origine et de mes propres passages.

J’ai également pu approfondir mes recherches auprès d’une égyptologue, qui a récemment déchiffré un rituel spécifique : je l’ai reproduit comme une autre manière d’entrer dans la rêverie. Le travail présenté est ainsi un condensé de mes préoccupations : le rapport à l’accident, au progrès, au temps, à la mort, mais envisagé comme autant de renaissances. Ces flux d’énergie qui nous traversent et nous relient se manifestent autant dans mes expériences, les rencontres et les chocs. Au terme de ce voyage, fallait-il dessiner mes rêves ? Les écrire ? Les réduire à une simple trace ? J’ai préféré confectionner un papier qui, à l’image de l’appuie-tête, devient un support à rêves. Ce travail est pour moi le premier chapitre d’une nouvelle histoire. Mon lit est désormais une embarcation, un dispositif activable selon les lieux et les contextes.

Je remercie chaleureusement Marie Bassano pour son invitation et sa confiance, Stéphane Huguet – forgeron, ingénieur et pédagogue hors pair – pour tout ce qui touche au métal, Chloé Pupier pour son engagement et son aide logistique, Laurent Lucas pour nos conversations matinales stimulantes ainsi que tous les autres résidents avec qui j’ai eu plaisir à partager ce temps : Caroline Schmoll, Clémence Rousseau, Garance Deprez, Pierre David, Virginie Pommel, et « la collective qui cherche encore son nom ».

Enfin, une pensée particulière pour Félix Lachaize, dont l’enthousiasme et la générosité continuent de résonner. Chaque outil portant ses initiales, chaque matériau prélevé par ses soins a ravivé sa mémoire. Cette résidence a été pour moi une régénération : à la fois un dialogue avec l’histoire et la structure du lieu, et une transformation intime.

Fabien Villon, sept. 2025.



Photos © Fabien Villon